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Yolun açık olsun, un chef d'oeuvre.

Dernière mise à jour : 29 mai 2022



Sortie Netflix 23/05/2022

Yolun açık olsun.

“ Bon vent”

Réalisateur Mehmet Ada öztekin

D’après le livre de Hakan Evrensel.

Engin Akyürek

Tolga Sarıtaş

Belfu Benian

Öyku Naz Altay


"L'insupportable légèreté de l'être "


Tourné en Juillet 2021 pour Netflix et présenté le 23 Mai 2022, Yolun açık olsun nous conte l’histoire et le chemin intérieur de l’énigmatique capitaine Salih ( Engin Akyürek) officier blessé, qui a perdu sa jambe au combat et marche avec une prothèse. Il décide de prendre la route et de traverser la Turquie, pour aider son ami Kerim ( Tolga Sarıtaş) à empêcher le mariage forcé de celle qu’il aime. Difficile de parler du film sans en dévoiler les développements, puisque tout se délie à la fin. Mais ce chef d'oeuvre mérite qu'on en parle dans l'instanté, tant il nous va droit au coeur.


Avec en toile de fond les misères de la guerre et ses conséquences sur la psyché humaine, le film dépeint avec subtilité, les méandres complexes qui habitent l’âme des hommes les meilleurs, quand la mort les frappe. Il fait aussi le portrait d’une amitié indéfectible et comment ceux que nous aimons sont nos guides, morts ou vivants. L'amitié de Kerim conduira Salih de son enfer personnel vers la rédemption. Nous suivons donc le voyage des deux hommes à travers la Turquie rurale jusqu’au lieu du mariage. Le fil conducteur du film, ce périple en voiture, entrecoupé d’images du passé, qui emporte Salih et la voix qui lui parle, vers la lumière et la résolution.


Mise en scène.


Couleur sépia.

Dès le début il y a dans l’air une opacité, un “je ne sais quoi” qui donne au film son aspect énigmatique. Le film se passe de nos jours et pourtant Salih embarque dans une vieille Mercedes, symbole d’une époque révolue, pour faire un voyage de 700 kms, et traverse avec Kerim la Turquie rurale, poussiéreuse et quasi déserte, avec, de temps en temps, des paysages étincelant de beauté, l'eau , les roseaux, le soleil, la lumière.

Le spectateur se retrouve d’emblée dans une sorte de “ no man’s land”. Les personnages semblent insaisissables. Pourquoi font ils ce périple? Quelle est le noeud de leur relation? Pourquoi Salih est il agité et Kerim, présent sans l’être vraiment, détaché? Tout cela teinté d’un voile sépia, sauf dans les flashbacks où au contraire, les personnages notamment Kerim, sont filmés dans une lumière crue aveuglante, celle des combats, de la danse ou celle heureuse dans le soleil sur son bateau. Ce voile sépia, les lieux déserts qu’ils traversent, la solitude des personnages, la voiture, nous font pressentir de grandes blessures, sous l’apparence du réel. Enfin, le parti pris du metteur en scène de travailler l’ombre et la lumière en fonction des évènements et des sentiments des personnages, apporte à ce film une poésie indicible et beaucoup d’émotion.


Choix narratif.

Le film entier est construit sur la dualité.

Dualité des deux personnages principaux.

Salih le taciturne, sombre, pensif, rongé par un mystère qui ne sera dévoilé qu’à la fin du film et Kerim, le jeune inscouciant, joyeux, innocent, espiègle. Les retours dans le passé de Salih sont filmés dans une lumière crépusculaire, tandis que Kerim le vivant, marche dans le soleil. Le sombre et la lumière, la vie et la mort. Leur rencontre, dans le bureau de Salih a lieu dans le noir ( panne d’électricité ) et préfigure ce qui va se passer. Elle lève le voile sur l’ âme tourmentée du capitaine et l’innocence de Kerim. Cette scène définit et annonce la cascade d'évènements qui suivra.


Dualité du récit et de l’espace temps.

Le film a toutes les apparences d’un “roadmovie” et rappelle certains films Américains, mais tout se joue à l’intérieur de la voiture, huit clos, symbolique de la tourmente dans l’esprit de Salih. Le voyage est aussi et surtout le cheminement intérieur de Salih vers la lumière, la rédemption et le pardon. Il y a un incessant parallèle entre la vie extérieure et intérieure, et c'est le jeu des acteurs qui induit cet écart. Espace du temps et espace du voyage.

Tout au long du chemin, l’histoire oscille entre le temps présent et celui, impalpable, du souvenir. Au fur et à mesure que l’on avance sur la route, le voyage est ponctué de flashbacks, qui lèvent le voile sur le passé de Salih et Kerim et met à jour peu à peu, l’origine du drame et la raison de leur départ en voiture.


Le lieu de la guerre - le monde naturel

Deux paysages celui des scènes de guerre, un désert caillouteux presque noir et blanc où seules pointent les armes, le lieu de la désolation stérile, mortifère, comme Mordor dans le Seigneur des anneaux de Tolkien. Le réalisateur par contre filme l'eau, la mer les rivières la forêt dans une clarté douce. Les moments les plus sereins du film et qui sauveront Salih sont ces moments là, le lieu sacré de kerim, les roseaux qui se balancent dans l'eau scintillante, la barque qui emporte Salih et son fils vers un futur miroitant , l'eau baignée de soleil. ces deux mondes aussi s'opposent et se répondent.


Les personnages et le jeu d’acteur.


Autour de Salih et Kerim, les personnages secondaires apportent un éclairage essentiel sur les deux amis. Kerim part à la guerre pour conquérir l’amour de sa vie. Son destin est déterminé par son besoin de prouver au père d’Elif qu’il est digne de se marier avec sa fille. L’amour inconditionnel de la femme de Salih le sauvera au terme de son voyage. Le réalisateur brosse aussi le portrait de la Turquie rurale, le mariage des filles soumis au père, la famille omniprésente dans les décisions importantes. Les rencontres au fil du voyage, l’épicier et la perdrix, les chasseurs, le restaurateur sans pitié, l'employé de la station d'essence, éclairent subtilement le personnage de Salih et ses motivations.


Salih - Kerim Engin Akyürek -Tolga Sarıtaş, un jeu en miroir.


Le film, superbement incarné par Engin Akyürek, est avant tout le portrait de ce soldat dont on saisit intuitivement l’indicible tourmente intérieure. Acteur de génie, il fait une fois de plus, la démonstration inégalée, de sa capacité à entrer dans un personnage pour en exprimer les infimes déchirures, les plus subtils mouvements intérieurs. Physiquement ultra tendu, proche de l'abîme, son corps presque monolithique contraste avec l'eau de ses yeux. Il exprime l'enfermement de celui qui a peine à contrôler sa colère contre lui même.

Kerim est son point sensible, celui qui lui permet de retrouver ce coeur qu'il a perdu. Cette fois le jeu d'acteur d'Engin Akyürek trouve écho dans celui de son partenaire. Le sombre brasier qui l'habite et qu'il incarne, est exarcerbé au contact des mots et du jeu de Kerim/ Tolga. Salih au début du film, brusque, sombre, fermé, parfois agaçant dans sa façon de parler, est indéchiffrable. Sa carapace se fissure au contact des paroles du jeune homme, qui nomme les choses et fait surgir le passé : La mort de la famille de Salih dans la même voiture. Cette voiture que le capitaine va passer des années à réparer pour combler le chagrin et ce qui le ronge. Kerim est sans doute à la fois la conscience de Salih et la figure emblématique de son sentiment de culpabilité. En ce sens le duo de ces deux personnages est exemplaire. Au passé, Kerim est jeune, joyeux, insouciant, la vie est pour lui un jeu et la seule chose qu'il souhaite c'est de se marier avec Elif. Son sourire éclatant avant le drame, contraste avec le taciturne capitaine. Ironiquement son destin va basculer vers la tragédie quand il rencontre Salih, tandis que le Capitaine entamera le début d'une lente sortie vers la salvation et le retour dans la vie.

Tolga Sarıtaş tout en nuances, donne vie à son personnage solaire avec grâce et sensibilité, il incarne avec sa force de vie d'un côté, et son absence fantomatique de l'autre, le contrepoint au taciturne Salih.


"L'insoutenable légèrete de l'être "

La relation entre les deux hommes, pris dans les filets de la guerre, cette histoire d'amitié masculine, les douleurs secrètes de la vie, les drames qui font tomber les hommes, tout cela est au coeur de la vérité bouleversante du film. Sans jamais de sensiblerie ni de pathos visible, le réalisateur réussit l'exploit de tout exposer avec pudeur et beauté et de nous parler de nos faiblesse, de nos errances, de ceux qui nous sauvent ou que l'on sauve, de nos territoires intérieurs, de la mort qui parfois nous touche et de la vie toujours plus forte, au delà des guerres.

Yolun Açık olsun, " Bon vent", tiré de la superbe histoire de Hakan Evrensel, et mis en scène avec tant d'intelligence par Öztekin, est certes un pamphlet contre la guerre mais parle aussi et surtout de la perte, des culpabilités qui nous rongent, des amitiés salutaires, de l'amour qui nous sauve ou détruit, de nos errances intérieures, de nos fautes inexprimables et des chemins qui s'offrent à nous pour les cicatriser. Il nous arrache le coeur, quand le spectateur comprend le sens de la présence de Karim tout au long du chemin et pourquoi Salih veut obstinément empêcher le mariage d'Elif. Il se termine dans la lumière mais longtemps après la fin du film, les yeux noirs du capitaine et son infinie douleur, ses exils insupportables, l'innocente bienveillance de Kerim et ce qui les relient, s'attardent dans notre coeur et nous font pleurer.

Merci pour ce chef d'oeuvre.


Cathie Hubert

Artiste, auteur.

France 24 Mai 2022 / version Française









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